Le 25 novembre 1988 à 9h05, dans une chambre d'hôpital blafarde de Bruxelles, j’arrive au monde, désarmée, impuissante. Un poids énorme sur mes épaules encore si petites. On m’appelle Valentine. Comme dans la chanson de Maurice Chevalier. Il n’y a pas de hasard. Si je suis là, c'est qu'il y a une bonne raison. Mais laquelle ? Ce jour-là, ma quête du Graal allait commencer.
Vingt-cinq années et des poussières passèrent quand soudain, je fis le plus beau rêve de mon existence. Le rêve dont j'avais toujours rêvé. Celui qui me sortit de mon lit à 6h du matin le lundi 22 avril 2014, avec un sourire que je ne me connaissais plus sur les lèvres, afin d'en noter frénétiquement tous les détails, à la fois si magiques, volatiles et éphémères. Celui avec lequel j’aimerais mourir de vieillesse, dans un sommeil profond de bébé heureux.
En pleine mer, sur un gigantesque bateau, une énième guéguerre verbale éclate au sein de ma famille. D’habitude, prendre la parole parmi les miens m’effraie. Je me bats avec moi-même, fatiguée, fragilisée, frustrée de ne pas trouver les mots justes pour exprimer clairement le fond de ma pensée, sans bégayer, sangloter ou carrément hurler. Sur mon oreiller, à l’aube de ce lundi particulier, cependant, je ne me laisse pas envahir par mes émotions et parviens à émettre mon avis, d’un ton calme et assuré. Pour la première fois, je remporte ainsi une victoire : sans défaillir, j’ai pu dire ce que j’avais sur le cœur et à ma plus grande joie, l’écoute était au rendez-vous.
Libérée d’avoir été entendue, je décide de partir à l’aventure, soulagée, fière et légère, mon petit sac sur le dos. Direction l’Italie, le pays de mon grand-père maternel, à destination de Florence où se trouve le Ponte Vecchio, très prisé par les bijoutiers. Il y a là une bague et son diamant brillant, digne d’une demande en mariage, qui m’attend en guise de récompense personnelle, pour seulement 22 euros.
A mon retour, les faits décousus s’enchainent… Après avoir finalement offert mon précieux anneau à l’une de mes très chères amies, je croise mon beau-père, mon petit Buddha local, qui me dit, de son air zen et enjoué « Valentine, j’ai lu un livre qui devrait t’intéresser. L’auteur y dévoile la date de la fin du monde ». Moi : « Ah bon ? C’est quand ? ». Il me répond, malgré les réticences de ma maman, anxieuse, à ses côtés : « En 2028 ». Loin d’être inquiétée, je réalise, au bout de quelques calculs rapides, qu’en quatorze ans, j’ai largement le temps de connaître des jours heureux et merveilleux.

Contre toute attente, l’annonce de l’année de l’apocalypse ne suscite en moi aucune angoisse durant mon sommeil. Absents, les vieux démons. Une nouveauté dans mes approches inconscientes de la mort, à mille lieues de mes cauchemars d’incendies, de bombardements, d’esprits malveillants qui veulent abuser de moi, de courses-poursuites quand j’ai les jambes en compote, de voiture sans conducteur quand je suis à l’arrière, de voix cassée quand je dois appeler au secours…
Deux jours après ce réveil hors du commun, je m’empresse de raconter mon rêve à mon psy, Albert, qui me dit, comme jamais auparavant, que je sors petit à petit d’une dépression profonde. « Profonde ? », m’exclamais-je, étonnée. « Profonde », répéta-t-il. « Vous venez de faire un chemin remarquable dont vous pouvez être contente, mademoiselle ». Ce à quoi j’ai répondu, une banane sur le visage : « Dans ce cas, la dépression est probablement la plus belle maladie du monde, quand on en sort… ».